Félix Bhérer-Magnan, Université Laval
La 27ᵉ Conférence des Parties (COP27) s’amorce sous peu dans la station balnéaire paradisiaque de Charm el Sheikh, en Égypte.
Le pays est l’hôte d’une nouvelle session de négociations climatiques qui va porter notamment sur les pertes et préjudices causés par le changement climatique. Il sera aussi question du rehaussement du niveau d’ambition climatique des Parties à travers leur contribution nationale déterminée (CDN). Il s’agit d’un mécanisme issu de l’Accord de Paris et qui rassemble tous les engagements climatiques auxquels un État souscrit, notamment en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et d’adaptation au changement climatique.
Cependant, au-delà de cette grande rencontre internationale sur l’action climatique, il y a une ombre au tableau : les droits de la personne. Le constat est sans équivoque : l’hôte de la COP27, l’Égypte, fait piètre figure en la matière.
Le pays obtient un score anémique de 18 % de la Freedom House au chapitre des droits politiques et des libertés civiles, qui le qualifie également de non libre. Il s’agit du score le plus bas jamais obtenu par un pays hôte de la COP depuis les 30 dernières années.
Des experts des Nations unies affirment être très inquiets de la situation. Le pays hôte entretient un profond climat de peur et de surveillance, selon Human Rights Watch alors que près de 60 000 prisonniers politiques croupissent derrière les barreaux des prisons et sont victimes d’actes de torture.
Le 20 octobre, l’activiste Greta Thunberg a même incité ses abonnés sur Twitter à signer une pétition condamnant les abus en Égypte.
Tous les États sont obligés de respecter, promouvoir et protéger les droits de chaque individu sans aucune discrimination, rappelle le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme.
Étudiant au doctorat en science politique à l’Université Laval, mes intérêts de recherche portent sur la transition énergétique, la justice climatique, les politiques climatiques internationales et l’économie verte. Je suis aussi membre étudiant de l’Observatoire des droits de la personne du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM).
Un mauvais signal
Les autorités égyptiennes restreignent l’accès de la société civile, dont les groupes de défenseurs de l’environnement et des droits de la personne, aux activités publiques organisées en marge de la COP27, qui se déroule dans une station balnéaire, loin de la capitale, Le Caire. La rencontre a certes un volet officiel réunissant des délégués de toutes les Parties pour des rondes de négociations, mais aussi un volet public qui réunit des milliers d’acteurs, dont ceux de la société civile.
Selon l’ONG Human Rights Watch (HRW), l’Égypte limite considérablement « […] la capacité des groupes environnementaux à réaliser des politiques indépendantes, des activités de plaidoyer et des travaux essentiels à la protection de l’environnement naturel du pays […] ». Ces restrictions violent des droits fondamentaux de la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations unies, dont celui de réunion, d’association, de pensée et de conscience et de protection des intérêts découlant de toute production scientifique.
Tous ces abus compromettent la capacité de l’Égypte à atteindre ses engagements en matière d’environnement et d’action climatique. Paradoxalement, l’objectif de ce sommet mondial vise à rehausser le niveau d’ambition des Parties et promouvoir la justice climatique. « Faites ce que je dis mais pas ce que je fais » semble être l’orientation que semble suivre l’Égypte jusqu’à maintenant.
Cela envoie un bien mauvais signal aux 198 États parties de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) qui se rendent à Charm el Cheikh. Certains ne sont pas du tout motivés à participer à l’effort climatique mondial. De fait, les violations de l’Égypte contribuent d’une certaine manière à légitimer ses propres actions aux yeux d’autres États ayant un contexte similaire.
Des obstacles nombreux pour les défenseurs de l’environnement
Selon HRW, le gouvernement égyptien a mis en place des obstacles arbitraires quant au financement, à la recherche et à l’enregistrement qui nuisent aux activités des groupes environnementaux locaux. Ces multiples obstacles ont forcé des militants de la société civile à s’exiler et d’autres à éviter d’entreprendre des travaux de recherche portant sur l’enjeu du climat.
Depuis l’accession au pouvoir du président Abdel Fattah al-Sissi en 2014, les groupes de défense de l’environnement subissent du harcèlement et de l’intimidation, des arrestations injustifiées, reçoivent des amendes onéreuses non-fondées, ont des difficultés d’accès aux voyages et vivent dans une atmosphère générale de peur. La présence de ces groupes a fortement diminué.
À cela s’ajoute la fermeture de près de 2 000 ONG étrangères consacrées à la défense de l’environnement et des droits de la personne en raison de la répression exercée par les autorités égyptiennes. Une tolérance de plus en plus grande est observée à l’égard des activités environnementales qui ne sont pas perçues comme critiques et qui sont alignées avec les priorités gouvernementales comme le recyclage, les énergies renouvelables, la finance climatique et la sécurité alimentaire.
En d’autres mots, toute activité publique est susceptible d’être réprimée si elle n’épouse pas les idées prônées par l’État égyptien.
Un cancre des droits de la personne
Les nouvelles lois adoptées par le président al-Sissi en 2019 impliquent aussi des contraintes sévères à la collaboration entre des organisations internationales et des organisations de la société civile égyptienne. Une approbation gouvernementale doit être obtenue pour la conduite de sondages d’opinion publique et de travaux de recherche. Cette même loi limite sévèrement les activités des ONG perçues comme « […] une menace à la sécurité nationale, la moralité publique et l’ordre public […] ».
Si l’objectif du gouvernement égyptien, dans sa vision 2030, est d’amorcer une transition fondée sur les principes de justice climatique, d’intégration sociale et de participation inclusive, il devra faire des efforts substantiels pour y parvenir. Il suffit d’abord d’offrir à la société civile tous les leviers dont elle peut légitimement bénéficier pour contribuer aux progrès de la société.
Il faudra plus tôt que tard que les Nations unies accordent une plus grande attention au respect des droits de la personne et reconnaître explicitement le lien entre ces droits et le changement climatique. En fait, l’ONU devrait aller au-delà d’une simple mention dans le préambule de l’Accord de Paris. Celle-ci stipule que les Parties devraient tenir compte de leurs obligations en matière de droits de la personne dans le déploiement des politiques climatiques.
Par exemple, l’allocation du financement climatique devrait être plus contraignants à l’égard des pays bénéficiaires quant au respect, à la protection et la promotion de ces droits. Autrement, c’est un dangereux statu quo qui nous guette.
Félix Bhérer-Magnan, Étudiant au doctorat en science politique, Université Laval
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.